Introduction aux droits de l’homme - Module 5

Module 5 

Les obligations découlant des droits de l’homme

Les effets des droits de l’homme sont beaucoup plus variés et complexes que ce que peut laisser entendre la lecture des instruments internationaux qui les garantissent. Leurs effets sont trois : l’obligation de respecter, l’obligation de protéger, et celle de mettre en œuvre. Chacun d’eux recouvre une série d’obligations précises, auxquelles les États, les destinataires, sont tenus de se soumettre. Les effets qui caractérisent les droits de l’homme ne peuvent plus être découplés en fonction des trois générations.

Les droits de l’homme de nos jours, ne lient pas seulement juridiquement les États, mais ils peuvent aussi déployer des effets dans les relations interindividuelles et donc lier des individus entre eux dans leurs rapports de nature privée.

L’obligation de respecter


La garantie du droit à la vie suffit à comprendre ce que son respect signifie. Dans tous les cas, elle impose à l’État un devoir d’abstention de priver une personne de sa vie. Dans un cas comme celui-ci, l’obligation de ne pas intervenir via une interdiction permet au droit en cause de déployer ce qu’on appelle son plein effet utile.

L’arrêt Young, James et Webster contre Royaume-Uni de la Cour européenne des droits de l’homme illustre le propos. Il s’agissait de l’obligation faite à trois employés de la Société des chemins de fer britanniques de s’affilier à l’un des trois syndicats qui étaient actifs dans cette entreprise sous peine, de perdre leur emploi. Faute de remplir cette condition, c’est-à-dire pour avoir refusé de s’affilier à l’un de ces syndicats, les trois employés en cause furent licenciés. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté une atteinte à la liberté d’association, au sens de l’article 11 de la Convention européenne qui garantit la liberté de s’associer et de fonder des syndicats, y compris celle de ne pas être contraint d’adhérer à des associations de ce genre. En d’autres termes, dit la Cour dans cette affaire, la liberté d’association comprend le droit de choisir de ne pas adhérer à un syndicat.

Il faut relever toutefois que l’obligation de respecter joue assez bien aussi pour d’autres droits, en l’occurrence pour les droits de nature sociale. Par exemple, le droit de bénéficier de services sociaux qualifiés au sens de la Charte sociale européenne, signifie notamment que toute personne doit pouvoir accéder à des services de ce genre, sans discrimination, sans empêchement majeur. L’obligation de respecter, dans un cas comme celui-ci, signifie l’interdiction faite à l’État de priver indûment une personne de l’accès aux services sociaux et, bien entendu, aux prestations distribuées par des services de ce genre.

L’obligation de protéger


La seule observation des droits de l’homme par un État ne suffit plus. L’État doit avoir une attitude plus active de non seulement pas respecter, mais aussi de protéger les droits de l’homme. Par exemple, la garantie du droit au logement au sens du Pacte ONU I ne suffit pas à protéger les personnes déjà logées. Elle implique aussi que les personnes qui sont en quête d’un toit puissent effectivement trouver et accéder à un logement.

L’obligation de protéger, historiquement, a souvent été associée aux droits sociaux, parce que la réalisation de garanties ne peut pas se contenter d’une simple politique d’abstention. Cependant, le constat joue aussi pour les libertés ou pour les garanties de l’État des droits de la première génération. Par exemple, le droit d’accéder à tribunal indépendant et impartial, implique un ensemble de garanties, certes élémentaires de l’État de droit, qui doivent être mises en place à travers le fonctionnement effectif d’un système judiciaire performant. Tous ces aspects, liés à un droit de la première génération, ne découlent pas d’une simple obligation de respecter, elles passent aussi par l’adoption de mesures proactives.

L’interdiction de la torture présente un autre exemple. Elle implique maintenant, d’après la jurisprudence, aussi une obligation d’enquêter. La vision contemporaine des droits de l’homme consiste à dire que tous ces droits impliquent une obligation de respect et aussi une obligation de protection.

Un autre aspect concerne le champ d’application personnel. L’État reste un destinataire naturel, privilégié, des droits de la personne humaine. Cependant, l’État n’est plus le destinataire exclusif de ces garanties. Des atteintes aux droits de l’homme peuvent aussi émaner de particuliers, par exemple, dans le cas d’une atteinte au droit à la vie, à l’occasion d’un meurtre. Dès lors, la question se pose : est-ce que les droits de l’homme peuvent aussi s’appliquer aux relations privées.

Pour répondre à cette question, la Cour de Strasbourg n’exclut pas que l’article 3 de la Convention trouve aussi à s’appliquer lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Un autre arrêt, de 1997, pose le principe selon lequel les droits de l’homme peuvent aussi impliquer la prise de mesures actives de la part des pouvoirs publics lorsque les menaces susceptibles d’être portées à ces droits n’émanent pas seulement de l’État lui-même, mais de personnes ou d’entités privées. C’était un cas de l’expulsion de France, à destination de l’Amérique, d’une personne qui avait été arrêtée à l’aéroport pour trafic de drogue.

Pour conclure, à l’obligation de respecter vient en droit s’ajouter une obligation de protéger.

L’obligation de mettre en œuvre


Les droits de l’homme ne sont pas seulement compris comme des droits individuels, mais sont plutôt considérés comme des normes objectives issues du droit international public. Donc, les droits de l’homme possèdent une dimension qui est beaucoup plus large que la simple sauvegarde de droits individuels.

Par exemple, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies relève que le respect et la protection du droit à la vie ne consistent pas seulement au regard du Pacte ONU II à éviter qu’un État prive ses habitants du droit de vivre. La disposition se prête à une interprétation beaucoup plus large selon laquelle les États doivent prendre toutes les mesures possibles pour diminuer la mortalité infantile, pour accroître l’espérance de vie, pour éliminer la malnutrition et les épidémies.

Alors, les droits de l’homme possèdent deux faces : le respect et la protection des droits individuels, et la dimension objective institutionnelle qui domine l’ensemble des activités de l’État. Les États ne doivent pas seulement 1) s’abstenir d’entraver l’exercice des droits de l’homme et 2) plus activement les protéger, mais, 3) ils doivent adopter des mesures appropriées d’ordre législatif, d’ordre administratif ou autre, dans le but d’assurer à chacun l’exercice plein et entier de ses droits.

Les perspectives nouvelles


Les droits de l’homme ne cessent pas d’évoluer. Par leur adoption par des organisations internationales, les droits ont acquis une forme d’autonomie qui les distingue parfois assez radicalement des droits fondamentaux. Plusieurs perspectives nouvelles se présentent dans le cas de cette évolution.

Si les organisations internationales ont généré les droits de l’homme à destination des États qui doivent les respecter, est-ce que ces organisations internationales sont elles-mêmes liées dans leurs activités par le respect des droits de l’homme qu’elles ont créés ? La Convention européenne des droits de l’homme est ouverte à la signature des États membres du conseil de l’Europe. Mais elle contient également une clause à l’article 56, paragraphe 2, qui prévoit la possibilité pour l’Union européenne d’adhérer à cette Convention. Alors, l’Union européenne est en quelque sorte destinée à devenir membre de la Convention européenne des droits de l’homme. Ça signifierait que le droit de l’Union être passible du contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’évolution des droits de l’homme dans le cadre de l’Union Européenne est intéressante. D’abord, la proclamation de certains droits dans la Charte de Nice, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2000. Deuxième étape, l’intégration de cette Charte, et la consécration de sa force obligatoire dans le traité de Lisbonne en décembre 2007. Depuis, les États membres de l’Union sont soumis aux droits fondamentaux de l’Union européenne via le traité de Lisbonne. La troisième étape alors, la prise en main par les juges européens. Ce sont les juges de l’Union et les juges de la Cour européenne des droits de l’homme qui visent d’assurer le respect des droits garantis, aussi bien par la Charte que par la Convention européenne des droits de l’homme.

Au niveau de l’Union européenne, on ne parle plus de droits de l’homme, mais de droits fondamentaux. L’Union européenne a tellement intégré les droits de l’homme que ces droits ne font plus partie du droit international. Ils sont intégrés à une sorte de constitution, à l’intérieur de laquelle on la considère véritablement comme des droits fondamentaux, comme le seraient des droits fondamentaux d’origine interne.

Dans l’arrêt Nada contre Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les mesures de lutte contre le terrorisme adopté dans le cas des Nations Unies, tel qu’intégré au droit suisse relevait véritablement du droit national, et qu’à ce titre elle devait être mise en quelque sorte en balance avec le respect des garanties de la Convention européenne des droits de l’homme. En l’occurrence, avec le respect du droit à la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que les mesures restrictives qui étaient imposées au requérant présentaient un caractère disproportionné.

La seconde perspective porte sur les rapports juridiques entre les droits de l’homme et les entreprises multinationales. Les menaces pour les droits de l’homme ne proviennent pas exclusivement de l’État et de ses organes. Ces menaces peuvent aussi émaner d’organisations autres que les États, comme les organisations internationales et d’entreprises privées qui sont, par exemple, impliquées dans des catastrophes écologiques.

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