Introduction aux droits de l’homme - Module 4

Module 4 

La typologie des droits de l’homme


Les droits de l’homme sont garantis dans des traités internationaux ou conventions. Ces conventions existent au niveau régional et au niveau universel, et elles sont nombreuses. En 1979, le juriste tchèque Karel Vasak a divisé les droits de l’homme en trois générations après deux critères : 1) d’ordre temporel et 2) d’ordre axiologique.

La première génération des droits de l’homme incarne la valeur de la liberté (XVIIIe siècle), la deuxième incarne la valeur de l’égalité (XIXe siècle) et la troisième incarne la valeur de la solidarité et de la fraternité (XXe siècle). L’idéal de l’État qui sous-tend la première génération, c’est l’État veilleur de nuit, un État minimal. Alors que pour la deuxième génération, la vision de l’État est celle de l’État providence.

La première génération : les droits civils et politiques


Les droits de la première génération sont les droits dits civils et politiques. Ils sont protégés au niveau universel et niveau régional. Au niveau universel, ils sont protégés par la déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte sur les droits civils et politiques (Pacte ONU II). Au niveau régional, on les trouve dans la Convention européenne des droits de l’homme, dans la Convention américaine des droits de l’homme, dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, et aussi dans la Charte arabe des droits de l’homme.

Les droits de l'homme de la première génération
Les droits civils ont une fonction défensive, ils visent à ménager à la société civile un espace de liberté contre l’ingérence arbitraire de l’État. Ce sont des droits boucliers ou droits de résistance.

On peut distinguer trois sous-catégories des droits civils de la première génération :

  1. Le droit à la vie. L’intégrité physique garantie dans les traités des droits de l’homme par l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants.
  2. Les libertés qui ont pour but de protéger une action de l’homme, un comportement humain, et ce qui est typique des libertés, c’est qu’elles impliquent un choix. Elles ont une dimension positive et négative : on a le droit d’exercer la liberté, mais on a aussi le droit de ne pas l’exercer (la liberté du mariage, le droit de participer à une manifestation, la liberté religieuse).
  3. Les garanties de procédures qui jouent un rôle important dans le domaine pénal : la présomption d’innocence, ou l’égalité des armes, le droit de se faire défendre dans une procédure pénale, et habeas corpus ou le droit de faire contrôler la légalité d’une détention par le juge.
Les droits politiques sont liés à l’autonomie de participation. Les particuliers ne sont pas juste des bénéficiaires passifs des libertés. Ils sont associés à l’exercice du pouvoir public, c’est donc l’idéal démocratique qu’on trouve à la base des droits politiques. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Cependant, au niveau international, on ne trouve pas un droit qui garantit le droit à un régime démocratique.

L’article 25 du Pacte II contient des droits politiques :
  1. le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit l’intermédiaire des représentants librement choisis ;
  2. le droit de voter et d’être élu au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; et
  3. le droit d’accéder dans les conditions générales d’égalité aux fonctions publiques de son pays.

La duexième génération : les droits économiques, sociaux et culturels

Ces droits sont également protégés au niveau universel et au niveau régional. Au niveau universel, ils sont protégés par la déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte sur les droits économiques sociaux et culturels (Pacte ONU I). Au niveau régional, toutes les conventions majeures protègent les droits économiques sociaux et culturels avec une exception : la Convention européenne des droits de l’homme est entièrement consacrée aux droits de la première génération. C’est pour ça que, au niveau européen, il y a une convention spécifique, la Charte sociale européenne qui protège les droits de la deuxième génération.

Les droits de l'homme de la deuxième génération
Les droits de la deuxième génération permettent donc aux particuliers d’exiger des prestations de la part de l’État. On a aussi appelé les droits de la deuxième génération, des droites créances ou des droites épées. Pour réaliser une égalité matérielle, donc une égalité de chances, voire de résultats, l’État ne peut pas se contenter de rester passif. Il doit agir, par fournir les biens et services les plus élémentaires à la population et par adopter des politiques sociales. Par exemple, il doit instaurer un système d’éducation gratuite et obligatoire. Il y a en effet trois sous-catégories, les droits économiques, les droits sociaux et les droits culturels.

Les droits économiques,  ce sont les droits qui visent à protéger l’action collective des travailleurs : la liberté syndicale et le droit de grève,

Les droits sociaux reviennent à toute personne humaine et ils ont pour but de satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population : l’alimentation, la santé et l’hygiène, le logement et l’habillement. Ces quatre besoins sont aussi protégés dans le Pacte I. L’article 11 contient le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. L’article 12 contient le droit à la santé physique et mentale.

Les droits culturels protègent la participation et l’accès de toute personne à la vie culturelle. Les droits culturels sont la sous-catégorie dont les contours sont le moins bien cernés. Qu’est-ce qu’on entend par vie culturelle ou culture ? On trouve les droits suivants : le droit à l’éducation, le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent, la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices, le droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.


À l'échelon universel

À l'échelon européen

La troisième génération des droits de l’homme : les droits de solidarité


Les droits de la troisième génération ont pour titulaires des entités collectives, les peuples. Pacte I & II tiennent compte de l’aspiration des pays en voie de développement à la décolonisation, et consacrent le premier et le plus connu des droits des peuples, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit protège l’autodétermination dans le domaine politique, social, économique et culturel, et comprend aussi le droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles.

Les droits de l'homme de la troisième génération
Au niveau universel, les droits de solidarité, ce sont des droits en devenir qui sont affirmés dans des textes de la « soft law », qui ne sont pas juridiquement contraignants, qui ont une valeur politique : le droit au développement, le droit à la paix, le droit à un environnement sain, le droit à l’aide humanitaire. Ce droit reflète les revendications des pays en voie de développement vers un ordre international plus juste. Elle exprime aussi l’idée qu’au fond, la réalisation des droits de la première et de la deuxième génération n’est pas indépendante des conditions économiques, sociales, culturelles, et environnementales.

Au niveau universel, les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ont été décrits comme des droits en devenir. Au niveau régional, sur le continent africain, les droits de solidarité sont juridiquement contraignants. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples contient tout un catalogue de droits de la troisième génération : le droit à l’égalité des peuples, le droit à l’autodétermination, le droit à la disposition de richesses et ressources naturelles, le droit au développement économique, social et culturel le droit des peuples à la paix, le droit des peuples à un environnement satisfaisant.

Sur le continent africain, ces droits sont aussi appliqués et concrétisés par la jurisprudence. On présente l’exemple des Andorrois, une communauté kényane qui a été expulsée de ses terres ancestrales. Une commission a d’abord établi que les Andorrois sont un peuple, et après, on a examiné le cas et on a conclu que Kenya a violé le droit de la disposition des richesses et des ressources naturelles et le droit au développement.

La classification générationnelle 

La classification des droits de l’homme en trois générations a suscité des critiques :
  1. La terminologie : le terme « génération » évoque l’idée d’une génération qui succède et remplace l’autre, cependant, les trois catégories de droits coexistent et se complètent
  2. La nature réductrice de la classification générationnelle : dès qu’on essaie de simplifier, on s’expose à la critique d’être trop simplificateur, d’être trop réducteur. C’est le revers de la médaille d’une tentative de simplifier. Par exemple, le droit de l’interdiction des discriminations est difficile à classer en raison de sa nature transversale. C’est un droit qui est consacré dans quasiment toutes les conventions en matière des droits de l’homme, c’est un droit transversal. Ce droit, donc le droit de respecter l’égalité de traitement s’applique dans le domaine des droits civils et politiques, dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, et dans le domaine des droits de solidarité. Les droits de l’homme engendrent, selon la classification générationnelle, des obligations différentes à la charge de l’État. La première génération engendre des obligations négatives, et la deuxième génération des obligations positives, l’État doit donc agir. On en a déduit au fond que la réalisation des droits de la première génération est gratuite, et celle de la deuxième génération est coûteuse. Cette vision polarisée a aussi été jugée réductrice, à juste titre, et c’est cette critique-là qui montre au fond, déjà qu’on est proche du terrain de l’idéologie.
  3. Les conséquences idéologiques et politiques qui ont découlé de cette classification. C’est la critique la plus fondamentale. Elle exprime une vision concurrentielle, antagoniste, entre les différentes catégories des droits de l’homme. Cette critique a servi aux États de se servir à la carte et de refuser au fond le menu intégral des droits de l’homme. Les États ont souscrit aux droits de l’homme qui étaient conformes à leur préférence idéologique, mais ils ont délaissé d’autres droits de l’homme jugés moins importants, voire contraire à leur idéologie. On peut distinguer deux clivages idéologiques : Ouest-Est et Nord-Sud.

Le clivage idéologique Ouest-Est

Du point de vue du bloc soviétique, les droits de la première génération étaient considérés surtout comme des garanties qui protègent les intérêts égoïstes de la bourgeoisie, et qui menacent au fond, la réalisation des droits de la deuxième génération. Le bloc occidental, quant à lui, il insistait sur la priorité des droits civils et politiques. Des vrais droits, ce sont les droits de la première génération.

Ces deux visions opposées antagonistes ont eu une influence très concrète au niveau des droits de l’homme, ils ont conduit à la scission de la Déclaration universelle. Au niveau universel, on a dû concrétiser la déclaration, de lui conférer les forces juridiques contraignantes par deux documents distincts : les deux pactes, chacun consacrés à une des deux générations. Au niveau européen, on a la même scission. Le contenu de la Déclaration universelle a été concrétisé d’une part dans la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, consacrée aux droits de la première génération, et d’autre part dans la Charte sociale européenne.

Cette scission a quelques conséquences pratiques. D’abord, elle a permis aux États de se servir à la carte, donc de ratifier le Pacte qui est conforme à leur préférence idéologique. En effet, on peut observer des différences entre les pactes quant à la mise en œuvre des droits qu’ils contiennent :
  1. Les deux Pactes sont construits d’une façon symétrique, leur structure est identique, mais la formulation d’article 2, qui est consacré aux obligations des États, est différente.
  2. En 1966, quand on a adopté les deux Pactes, au fond, l’Assemblé Générale a adopté trois instruments : les deux Pactes et un protocole additionnel qui se réfère au Pacte II (sur les droits civils et politiques). Cet instrument permet au Comité des droits de l’homme, l’organe de contrôle du Pacte, de statuer sur des plaintes de la part des particuliers. Pour le Pacte I, en 1966, une telle procédure n’a pas été envisagée. On a dû attendre jusqu’à 2008 pour ça.
  3. Les États parties au Pacte II s’engagent à garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte II auront été violés, disposera d’un recours utile. Le Pacte I ne contient pas une disposition qui consacre le droit à un recours utile.

Quelques différences typiques entre les Pactes I & II


Le clivage idéologique Nord-Sud

Les pays en voie de développement étaient très sceptiques à l’égard de la position des droits de la première génération jugés prioritaires par les pays du Nord. Selon eux, les vrais droits sont les droits de solidarité. La réalisation du développement et de la prospérité économique faut un régime qui ne soit pas entravé par les droits civils et politiques. Si on veut réaliser les droits de solidarité, il faut renoncer aux droits de la première génération, la « tradeoff thesis ».

On a aussi invoqué des arguments d’ordre culturel. Au fond, les droits de la première génération reflètent une culture, une vision occidentale. Une vision occidentale qui met l’individu au centre. Alors que dans les autres cultures, notamment les pays asiatiques, on met plutôt la communauté en avant. On s’intéresse au devoir du particulier face à la communauté. On n’a pas une vision excessivement individualiste. Cette vision, selon laquelle en Asie, les valeurs sont différentes de l’Occident, a été formalisée dans la déclaration de Bangkok.

De point de vue de l’État du Sud, les droits de la première génération ne sont pas adaptés aux contextes économiques et culturels de ces pays. C’est une vision compartimentalisée, concurrentielle, antagoniste des droits de l’homme. Cette vision concurrentielle, elle a aussi généré des contre-mouvements. Ce contre-mouvement a pu s’affirmer à la fin de la guerre froide. Elle a donné naissance à la thèse de l’indivisibilité des droits de l’homme.

Pour conclure, les États ont mis la priorité sur différentes catégories de droits. La première génération est la catégorie jugée prioritaire par le bloc occidental. Les droits de la deuxième génération sont les droits prioritaires pour le bloc soviétique. Le droit de solidarité, c’est le droit prioritaire pour les pays en voie de développement.

L’indivisibilité des droits de l’homme


Le principe de l’indivisibilité des droits de l’homme a été réaffirmé dans le Déclaration et le Programme d’action de Vienne (1993). Cette déclaration se base sur deux idées centrales : l’importance égale des droits de l’homme et l’interdépendance des droits de l’homme. La dernière rejette l’idée de la « trade-off thesis », l’idée qu’il faut sacrifier une catégorie de droits pour réaliser une autre catégorie de droits.

L’interdépendance met en avant les synergies qui existent entre les droits de l’homme. Il faut réaliser tous les droits de l’homme dès qu’on comprend qu’un est nécessaire pour la réalisation d’autres droits de l’homme. Par exemple :

  • Le droit à l’éducation facilite l’exercice des droits civils et politiques, plus précisément les droits de communication et les droits politiques.
  • Les libertés de communication et les droits politiques d’une part, et le droit à l’alimentation, donc un droit de la deuxième génération, d’autre part. Amartya Sen pose que « dans les démocraties libérales, il n’y a jamais eu des famines massives ».
  • La réalisation du droit à un environnement sain a des effets bénéfiques sur la réalisation du droit à la santé.

L’idée de l’interdépendance des droits de l’homme trouve aussi expression dans la jurisprudence, tant au niveau régional qu’au niveau universel. Par exemple,
  • La Cour européenne des droits de l’homme a interprété d’une façon très large le droit au respect de la sphère privée et familiale. Ce droit peut être violé quand des personnes vivent à proximité d’un site toxique ou, par exemple, d’une usine qui dégage des fumées, des émissions nocives. Alors, à travers le droit de la protection de la sphère privée et familiale, la Cour protège en effet un droit de la troisième génération, le droit à un environnement sain.
  • Le Comité des droits de l’homme a interprété d’une façon large le droit à la vie. Les États doivent aussi diminuer la mortalité infantile et accroître l’espérance de vie et ils doivent aussi prendre des mesures qui permettent d’éliminer la malnutrition et les épidémies. Alors, par cette interprétation large, le droit à la vie incorpore des aspects du droit à la santé, donc d’un droit de la deuxième génération.
  • Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, l’organe de surveillance du Pacte I, adopte aussi une vision large des droits concrètement aussi du droit à la santé. Ce droit n’est pas juste un droit à recevoir des soins. Ce droit incorpore, selon le Comité, aussi des libertés, notamment la liberté de recevoir des informations. Par exemple, si un gouvernement censure la presse et les personnes ne sont pas au courant d’une catastrophe nucléaire ou autre, ce gouvernement porte donc atteinte, viole les libertés de communication, droit de la première génération, d’une part et aussi le droit à la santé, droit de la deuxième génération.




1 commentaire:

Anonyme a dit…

Vous avez reproduit intégralement le contenu du cours d'introduction aux droits de l'homme de l'Université de Genève sur Coursera.